"D'ailleurs c'est toujours les autres qui meurent"
interview réalisée par Pascale MARCHAL -
-Marcel Duchamp, vous venez de montrer une oeuvre inédite à quelques initiés, pourquoi ne pas vouloir l'exposer aux yeux de tous, sinon à titre posthume ?
-Ne vous plaignez pas ma chère : vous faites partie de ces happy-few !
- quelles ont été vos motivations et vos références quand vous réalisez Etant donnés 1- La chute d'eau 2- le gaz d'éclairage...,?
Je logeais au début du siècle dans un vaste appartement, rue Jeanne d'Arc, à Rouen et de ma fenêtre j'apercevais le square Verdrel ... vous retrouvez dans mon tableau le réverbère à gaz, le plan d'eau, le cygne ... pour le reste, il est assez suggestif ...
-On dit outre-Atlantique que vous auriez , depuis Nu descendant un escalier et surtout avec votre invention du ready-made, voulu révolutionné le monde de l'art... ?
-On dit beaucoup de choses outre-Atlantique et beaucoup de bêtises. Je n'ai rien voulu du tout. J'ai exprimé mon rapport à l'art et le spectateur a fait le reste. Pour moi l'art est mort et j'ai voulu en faire part de façon ludique. Si vous prenez Porte- bouteilles, l’urinoir signé R Mut, Fontaine, LHOOQ, Le grand verre, La roue ( la fameuse "Roue de Duchamp" ! les 9 moules mâlics ou encore La mariée mise à nu par ses célibataires même et que je vous dise : ceci est ART, faites travailler votre imagination, réfléchissez. C'est votre liberté en tant que public asservi que je teste, en même temps que votre sens du concept et de l'humour.
- " l'art est-il mort " ?
-A vous de relever le défi !
Quand je dis " l'art est mort ", je pense peinture. La peinture figurative n'a rien à dire au monde qu'elle n'ait déjà dit. Et ce n'est pas le surréalisme qui peut se prétendre art. Le surréalisme se prend bien trop au sérieux !
- Lorsque vous avez été reconnu, fêté, ovationné à l'Amory -show dans les années vingt, en avez-vous conçu grief à l'encontre des amateurs français non clairvoyants ?
-La France n'a jamais été très visionnaire en matière d'art et que dire de Rouen !...
-Connaissiez-vous à l'époque Les demoiselles d'Avignon de Picasso Quand vous avez peint Nu décent.... ?
-Mais non voyons, que me racontez- vous là, c'est moi qui ai influencé Picasso ! Vérifiez les dates que diable, faites votre boulot de journaliste-scribouilleuse.
-Etiez-vous inspiré par les travaux de Marey et Muybridge sur le cinéma ?
-Oui, nous avions en commun cette recherche sur le mouvement et la décomposition du mouvement qui permit au 19ème siècle la naissance du cinéma.
- Le cinéma actuel vous intéresse-t-il ?
- Pas le cinéma est anémic, anecdotique et franchouillard, ni les films hollywoodiens à gros budget, en revanche, avec mes amis Picabia et Man Ray, nous réalisons en ce moment des films expérimentaux qui prolongent ma réflexion sur le mouvement : les roto-reliefs. L'art c'est peut-être la recherche permanente.
La recherche mâtinée d'hédonisme.
-Il fait donc partie intégrante de votre vie, pourriez-vous dire que vous avez fait de votre vie une oeuvre d'art ?
- Ce n'est pas à moi de le dire, ne serait-ce pas présomptueux ? L'avenir et les historiens d'art, seuls, jugeront. Tout ce que j’ai fait d’important pourrait tenir dans une petite valise : la boite en valise. Si vous en saisissez l'auto-dérision, vous possédez une clé majeure de mon oeuvre et de ma vie.
-Vous avez mis beaucoup plus de temps à réaliser votre dernière oeuvre : Etant donnés ..., beaucoup plus que pour La mariée mise à nu par ses célibataires mêmes, et personnellement je ne vois rien qui...
-C'est vous le regardant, vous voyez ou vous ne voyez pas... collez bien votre œil au trou de la serrure ! Sachez écouter aux portes et n'écoutez pas les « on dit ».
- Et RRose Sélavy ?
-Errrrros c'est la vie ! je vous en prie... Prière de toucher ! ....